Produire du combustible à partir de la lumière et de l’air
Après dix années passées à trimer, ajuster et recommencer, le professeur-inventeur Johan Martens a récemment présenté sa dernière réalisation au grand public: elle ressemble à un panneau solaire, mais il s’agit d’un système qui produit du combustible à partir de la lumière et de l’air. L’intérêt manifesté par des organisations, des entreprises ainsi que des gouvernements nationaux et étrangers est impressionnant. Son invention pourrait bien conduire à une révolution dans le paysage énergétique.
Johan Martens est simplement professeur à la Faculté des Sciences en Bio-ingénierie de la KU Leuven, mais il se qualifie plus d’inventeur que de professeur. ‘J’essaie d’aller à l’en¬contre de l’esprit de super spécialisation, je suis un all-rounder à la recherche de solutions à des problèmes qui se situent à la croisée de la chimie, de la physique et des sciences de l’ingénierie. J’ai déjà réalisé quelque 150 inventions. La plupart d’entre elles ont été concédées sous licence à des entreprises, mais j’ai également créé plusieurs spin-offs dont une dans le secteur pharmaceutique et une société d’ingénierie. Je suis également l’un des fondateurs d’Aqua4C, l’entreprise aquacole qui cultive la perche oméga.’
Comment se déroule le soutien de l’université lors de la création de spin-offs?
‘Nous disposons d’un excellent bureau de transfert de technologie, Leuven Research and Development. La KU Leuven est l’une des universités les plus innovantes au monde. Après certaines universités aux États-Unis, nous sommes le numéro 1 en matière de valorisation de la recherche scientifique. Nous sommes meilleurs dans ce domaine que les Allemands, les Anglais, les Chinois, les Coréens, etc.’
Et aujourd’hui, vous et vos employés faites la une de l’actualité mondiale avec une invention dans le secteur de l’énergie. Comment en êtes-vous arrivé là?
‘De très nombreux chercheurs sont en quête d’une alternative aux combustibles fossiles. Les biocarburants étaient en vogue il y a dix ans, par exemple à base d’huile de colza. Le problème résidait au niveau de la concurrence avec l’agriculture et l’approvisionnement alimentaire. De plus, les plantes ne sont pas optimisées pour produire de l’énergie mais pour vivre, pousser et se reproduire. À l’époque, je me posais la question de savoir si nous ne pouvions pas extraire du processus toute la question de la croissance des plantes et du bioraffinage pour produire directement un combustible durable à partir de l’air et de la lumière. L’air contient de l’oxygène, de l’azote et de l’argon, mais aussi de la vapeur d’eau. Il y a environ 1% d’eau dans l’air et ce pourcentage varie en fonction de l’humidité de l’air. Et l’hydrogène gazeux est inflam¬mable, vous pouvez le comparer au gaz naturel. Nous avons donc cherché un moyen d’extraire l’hydrogène gazeux de la vapeur d’eau au moyen de l’énergie solaire. Nous sommes partis d’un idéal utopique: créer quelque chose que chacun pourrait utiliser pour produire et stocker sa propre énergie durable sans avoir besoin d’un apport de combustibles ni d’un réseau électrique. Nous y avons travaillé durant dix ans et voilà au¬jourd’hui le résultat. En fin de compte, nous prélevons de l’eau dans l’air pour y stocker de l’énergie solaire. Après la combustion de l’hydrogène gazeux et la libération de l’énergie, nous rendons l’eau à l’air.’
Pouvez-vous expliquer brièvement le fonctionnement?
‘L’eau est de l’H2O, vous avez donc deux atomes d’hydrogène et un atome d’oxygène. Il est connu depuis très longtemps que l’électricité peut être utilisée pour séparer l’eau. Et cela se produit assez fréquemment. Les parcs éoliens et les parcs de panneaux solaires, par exemple, sont reliés à un dispositif d’électrolyse qui sépare l’eau liquide en hydrogène gazeux et en oxygène gazeux. Pourquoi le fait-on? Pour résoudre le problème du stockage de l’excédent d’électri¬cité produite. Des panneaux solaires pro¬duisent beaucoup d’électricité lors d’une journée ensoleillée, à l’instar des éoliennes lors de conditions de vent optimales. Le réseau électrique ne peut pas faire face à une telle quantité. À ce moment-là, ces grandes machines d’électrolyse sont mises en marche pour produire de l’hydrogène gazeux afin que ces surplus d’énergie puissent y être stockés.’
Qu’y a-t-il de nouveau à votre invention?
‘Nous utilisons de la vapeur d’eau, nous prenons l’eau présente dans l’air. Les autres systèmes ont besoin d’une source d’eau liquide et, comme vous le savez, l’eau devient une ressource rare. Notre système n’entre donc en aucun cas en concurrence avec d’autres utilisateurs d’eau. Il peut être installé n’importe où et fonctionne d’une manière totalement autonome. Aucune source ni réservoir d’eau n’est nécessaire, le système fonctionne sans pompes ni tuyaux. Nous avons relié entre eux d’une façon compacte dans un fin panneau l’absorption ainsi que la séparation de l’eau – qui est un processus chimique – et le captage de la lumière du soleil ainsi que la production d’électricité qui en découle – qui est un processus physique. Le système ressemble à un panneau solaire qui ne produit pas de l’électricité, mais de l’hydrogène gazeux.’
Quelles sont les principales possibilités d’application de l’hydrogène gazeux?
‘Vous pouvez l’utiliser directement pour produire de la chaleur. L’hydrogène gazeux est comme le gaz naturel, vous pouvez l’utiliser pour un chauffe-eau ou un brûleur. Vous pouvez donc équiper une habitation de nos panneaux, produire de l’hydrogène gazeux sur place – surtout en été – et le stocker sous pression dans un réservoir d’hydrogène pour chauffer l’habitation en hiver. Une autre possibilité consiste à alimenter le réseau de gaz existant, car vous pouvez mélanger du gaz hydrogène à du gaz naturel. La loi stipule que vous pouvez y mélanger deux pour cent d’hydrogène gazeux. Sans aucune modifica¬tion apportée aux brûleurs et chauffe-eau. Si nous pouvions remplacer deux pour cent du gaz naturel, ce pourcentage contribuerait d’une manière non négligeable à la réduction des émissions mondiales de CO2. À terme, un réseau complet d’hydrogène pourrait même être envisagé. L’hydrogène gazeux peut donc être utilisé pour le chauffage, mais il peut également être converti en électricité grâce à une pile à combustible. Mais si vous avez directement besoin d’électricité, un panneau solaire est bien entendu plus avantageux. Vous n’avez alors pas besoin de l’étape intermédiaire du stockage de l’énergie sous forme d’hydrogène gazeux. Les panneaux photovoltaïques et les panneaux à hydrogène sont donc complémentaires.’
Que se passe-t-il lors de la combustion?
‘Vous brûlez de l’hydrogène comme vous brûlez du gaz naturel. La combustion signifie que vous laissez le gaz réagir avec l’oxygène jusqu’à obtenir de l’H2O. Ce faisant, l’énergie est libérée et le produit résiduel qui sort de l’installation est de la vapeur d’eau totalement inoffensive. L’eau que nous avons dans un premier temps extraite de l’air est donc relâchée dans l’air.’
L’extraction de l’eau présente dans l’air est-elle totalement inoffensive?
‘Oui, l’air est une source inépuisable d’eau. Nous ne pouvons jamais perturber le cycle hydrologique mondial de l’évaporation, de la formation de nuages et des précipitations, même si nous produisions toute notre énergie à partir de la vapeur d’eau présente dans l’air. Et comme nous l’avons déjà dit, nous n’ex¬trayons l’eau de la nature que pour un bref instant. Ensuite, nous la remettons simple¬ment dans le cycle.’
Quel est le rendement de l’installation?
‘Nous obtenons un rendement de quinze pour cent. Autrement dit, quinze pour cent de l’énergie solaire qui entre en contact avec le panneau est convertie en énergie chimique qui est stockée dans l’hydrogène gazeux. Ce pourcentage peut encore être amélioré, mais c’est déjà un très bon résultat. Des panneaux solaires standards atteignent eux aussi un rendement de maximum vingt pour cent.’
Notre système n’entre en aucun cas en concurrence avec d’autres utilisateurs d’eau.
Professeur-inventeur Johan Martens
La technologie est-elle prête pour le marché?
‘Ces deux prochaines années, nous allons mettre en oeuvre des projets de démonstra¬tion dans les domaines de la construction résidentielle, de l’agriculture, de la mobilité et du transport maritime. Le premier projet va être concrétisé dans une habitation située non loin d’ici. Les habitants veulent être indépen¬dants sur le plan énergétique. Mais en hiver, ils ne peuvent pas le faire car l’ensoleillement est limité. Nous allons installer vingt panneaux de 1,6 mètre sur 1 mètre pour y produire de l’hydrogène gazeux cet été. Ce combustible sera ensuite utilisé pour le chauffage et la production d’électricité en hiver. L’habitation est également équipée de panneaux solaires pour l’électricité et d’un chauffe-eau solaire pour l’eau chaude. Les trois techniques réunies doivent suffire sur papier pour produire une quantité suffisante d’énergie tout au long de l’année. Si tout fonctionne bien, nous voulons nous étendre à l’ensemble de la rue qui compte 39 maisons. Les habi¬tants sont très soucieux de l’énergie. Ils sont prêts à investir ensemble et à devenir la première rue au monde à subvenir elle-même à ses propres besoins énergétiques. Notre technologie est en fin de compte plus adaptée à une communauté résidentielle, une rue et un quartier qui s’unit par exemple dans une coopérative qu’à une habitation individuelle.’
Cette technologie peut-elle aussi être utilisée par des entreprises?
‘Absolument. Les panneaux occupent une certaine surface, mais vous pouvez les installer n’importe où: dans des champs, sur des toits. Nous pensons aussi à des exemplaires flottants sur des étangs. Nous voyons de très nombreuses possibilités dans les secteurs agricole et horticole. Les arbres fruitiers, les vignes et d’autres cultures de haute qualité n’ont pas toujours besoin de plein soleil. Un panneau d’hydrogène pourrait donc servir d’écran contre une quantité trop importante de lumière du soleil, des pluies excessives, de la grêle. L’hydrogène gazeux peut aussi être utilisé pour faire rouler les tracteurs. Une entreprise agricole ou horticole pourrait donc fonctionner entièrement à l’hydrogène. L’hydrogène gazeux offre également de nombreuses possibilités comme carburant pour les véhicules. Un intérêt élevé est également manifesté par des pays où l’approvisionnement en électricité est très irrégulier ou un réseau électrique est inexis¬tant. Nous pouvons même adapter les panneaux au climat. Dans un climat très sec, nous pouvons fournir une plus grande capacité d’absorption de l’eau.’
Le financement n’a-t-il jamais constitué un problème?
‘Nous avons pu financer ce projet grâce au fonds du programme Methusalem. Avec ce programme, l’ancienne ministre Fientje Moerman a apporté pendant dix ans un soutien structurel à une vingtaine de cher¬cheurs de pointe en Flandre. Si nous avions dû nous consacrer à des projets de trois ou quatre ans chacun, nous n’aurions probable¬ment pas réussi.’
Travaillez-vous déjà sur d’autres projets?
‘Je viens de décrocher une advanced grant de l’ERC. ERC signifie ‘European Research Council’ (Conseil européen de la Recherche) et l’advanced grant est la distinction la plus prestigieuse qui soit pour un chercheur individuel en Europe. Le Conseil dispose d’un montant de 2,5 millions d’euros à consacrer à la recherche durant les cinq prochaines années. Je souhaite me concentrer sur deux projets relatifs à l’eau. Le premier défi consiste à extraire de l’eau potable de l’air et le second à modifier les propriétés de l’eau. Je pense qu’il devrait être possible de conférer à l’eau les propriétés de solvants organiques comme l’acétone. Ces solvants organiques sont principalement constitués de carbone fossile. Ils sont une source importante de CO2 et donc de pollution atmosphérique. Si nous pouvions nous débarrasser des solvants organiques à l’échelle mondiale, nous réaliserions aussi un grand pas en avant. Je ne manque pas de travail pour les années à venir, mais je mène une vie formidable en tant que scientifique.’
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