"Nous assistons au plus grand cours de formation numérique de tous les temps"

"Les petites entreprises disposent de certains atouts que les groupes mondiaux n'ont pas: le contact humain et la connaissance du marché local. Mais pour lutter efficacement, elles doivent aussi développer leurs capacités numériques." C'est ce que dit Steven Van Belleghem, expert en expérience et orientation client.

Ces dernières années, Steven Van Belleghem a donné plus d'un millier de conférences dans plus de quarante pays sur l'interaction entre la pensée orientée client, les dernières technologies et le facteur humain. En 2017, il a publié 'Customers, the day after tomorrow', et en septembre il publiera son nouveau livre 'The offer you can't refuse'.

Mettre le client au centre de ses préoccupations, c'est lui ouvrir tout grand la porte. Mais en quoi cela consiste-t-il au juste?

"L'orientation client signifie comprendre comment les clients pensent et raisonnent, comprendre leurs besoins, leurs préoccupations et leurs frustrations et y répondre de la manière la plus appropriée possible. Une entreprise ou une organisation ne doit pas se prendre elle-même comme point central. C'est la place du client et c'est à l'entreprise de lui fournir de la valeur ajoutée. L'orientation client, c'est donc bien plus que le service à la clientèle ou l'aide fournie à un client en cas de problème. Elle englobe l'ensemble des interactions avec les consommateurs et exige aussi de l'entreprise d'agir de manière proactive."

En quoi consistera l'orientation client à l'avenir?

"Il est clair qu'elle sera résolument numérique. En raison de la crise du coronavirus, nous suivons actuellement le plus fantastique cours de formation numérique jamais organisé. Nous sommes de plus en plus contraints d'utiliser les outils numériques pour tous les aspects de notre vie: travail, loisirs, contacts sociaux, achats. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Au cours des mois écoulés, Amazon a embauché 175 000 personnes de plus et Instacart - une entreprise basée à San Francisco qui collecte les aliments dans les supermarchés et les livre à domicile chez les clients - même 300 000 personnes. Pour Shopify - la plus grande plateforme de commerce électronique après Amazon et qui est principalement utilisée par les entrepreneurs et les commerçants - le pic traditionnel autour du "Vendredi Noir" est maintenant devenu la norme quotidienne."

Qu'apportera le numérique dans la relation entre le client et l'entreprise?

"Le grand avantage pour le client est la convivialité des outils transactionnels. Je distingue à ce titre trois composantes. La première, ce sont les services 'plus rapides qu'en temps réel'. Une entreprise qui anticipe et utilise l'intelligence artificielle pour prévoir ce que feront les clients peut proposer des produits ou des services ou résoudre des problèmes avant que les consommateurs n'y pensent eux-mêmes. La deuxième composante est une forme extrême de personnalisation. Il ne s'agit plus du client moyen mais du client individuel. Et la dernière est la facilité d'utilisation, le consommateur n'a plus aucune démarche à accomplir. Il se surprend à penser que c'est un acquis, qu'une entreprise dotée d'outils technologiques performants et la chose la plus normale du monde."

Les données sont-elles la clé pour accroître la facilité d'utilisation et renforcer le lien émotionnel entre le client et l'entreprise?

"Absolument, les entreprises doivent devenir des capteurs de données. Plus vous en savez sur le comportement des gens, mieux vous pouvez y réagir. Les données sont des paramètres objectifs, elles portent sur le comportement des personnes et non sur ce qu'elles disent faire, comme dans une enquête. Pour l'aspect transactionnel de vos activités, vous avez aussi besoin de données car vous pouvez alors fournir le bon service ou le bon produit de manière proactive. La société américaine Boxed se fonde sur les données pour cerner au plus juste les habitudes de consommation des gens. Si vous savez que 80 % de ce que vous mangez ou buvez à la maison est identique chaque semaine, la fréquence d'achat d'une nouvelle barquette de fromage à tartiner ou de choco ne varie presque jamais et est donc prévisible. Boxed livre ainsi chaque samedi matin à ses clients un carton de produits dont elle sait qu'ils sont presque entièrement consommés."

N'est-il pas inquiétant que les entreprises en sachent autant sur nous?

"En effet, il vaut mieux ne pas trop penser à la quantité de données que vous produisez quotidiennement et que les grandes entreprises technologiques utilisent assidument. Nous nous préoccupons beaucoup de la protection de notre vie privée mais sans changer de comportement pour autant. Dans la pratique, nous optons généralement pour la commodité. Quand un changement survient-il dans ce comportement? Lorsque la confiance est complètement ébranlée. À la fin de l'année dernière, pendant les manifestations à Hong Kong, les gens se promenaient avec des parapluies et des torches à laser pour échapper aux caméras de reconnaissance faciale. Ils ne payaient plus par téléphone et, pendant les manifestations, ils éteignaient leur smartphone ou le laissaient à la maison. Lorsque l'identité personnelle devient plus importante que la facilité d'utilisation, les choses peuvent très vite basculer."

Les entreprises qui joueront à fond la carte des données seront aptes à répondre de manière plus proactive aux besoins du client

Steven Van Belleghem, expert en expérience et orientation client

Nous parlons surtout de grandes entreprises. Comment les PME peuvent-elles se défendre contre les géants dans ce domaine?

"Pour rivaliser avec les grosses pointures, elles doivent être un niveau au-dessus en matière de numérisation. Les clients voient surtout leur facilité d'utilisation et leur portefeuille. Souvent, les PME ne sont pas assez présentes sur la scène numérique: leurs sites ne fonctionnent pas très bien, on n'y trouve pas facilement les produits, elles font payer des frais de port, ce qui n'est pas le cas des grandes entreprises. En revanche, les PME ont tout de même quelques atouts en mains: l'aspect humain et leur connaissance du marché local. Elles excellent vraiment dans ces domaines. Mais si elles rechignent à sauter dans le train du numérique, cela ne suffit plus. Actuellement, la philosophie 'd'acheter local' est très en vogue mais on remarque que ces derniers mois dans notre pays, les plus gros vendeurs ont été 'Zalando et Bol.com'."

La crise du coronavirus n'a-t-elle pas poussé les petites entreprises à accélérer leur révolution numérique?

"Les entrepreneurs aussi ont suivi la plus grande formation numérique jamais dispensée. Certains ont réagi très rapidement et ont commencé à rattraper leur retard numérique, dans les domaines du travail à domicile, du commerce électronique, des réunions de vente numérique, des services en ligne notamment. D'autres attendent et espèrent le retour à la situation d'avant. Or ceux-là auront beaucoup de mal à survivre."

Jouer dans la cour des grands du numérique, est-ce que cela n'exige pas d'engager beaucoup de moyens et de recruter du personnel?

"Parfois oui, parfois non. Il faut surtout faire preuve de créativité. Car la roue tourne et bien des choses nous attendent encore dans le domaine du numérique. Voyez la communication numérique, par exemple. Je suis toujours surpris de constater qu'il y a encore des entreprises qui n'aiment pas les médias sociaux. C'est une occasion en or qui leur passe sous le nez. La portée de LinkedIn, par exemple, est encore très importante, et il y a là un public très intéressant. C'est un média gratuit; si vous créez votre propre profil et votre contenu, étudiez bien la chose et y consacrez du temps, cela ne vous coûte presque rien. Outre cette ample communication via les médias sociaux, il y a aussi les ventes en ligne. Les possibilités sont innombrables. Avec une réunion Zoom, par exemple, vous pouvez parfaitement organiser un petit déjeuner virtuel pour vingt clients. Cela vous coûtera beaucoup moins que de les inviter physiquement. Les entreprises doivent faire un usage beaucoup plus assidu de tous les outils disponibles et les utiliser intelligemment."

En quoi consiste exactement le facteur humain ou la 'human touch'?

"Je considère qu'il s'agit de l'interaction entre les gens. Plus le monde passe au numérique, plus les contacts humains se raréfient. Et quand une chose devient rare, elle prend de l'importance et de la valeur. Être très à l'aise et performant dans les relations humaines signifie que l'on excelle dans des qualités que les ordinateurs n'ont pas: l'empathie, la passion, la créativité, l'enthousiasme,... Dans le domaine de la vente, des services et de l'accueil, quiconque est en contact avec les clients doit savoir faire preuve de ces qualités."

Les progrès accomplis dans le numérique ces derniers persisteront-ils?

"Je ne pense pas que l'on puisse encore retourner à la situation d'avant le Covid-19. Trop de gens ont découvert la facilité du commerce en ligne pour revenir ensuite à la case départ. Le paiement sans contact est un acquis. Il ne disparaîtra pas. Nous continuerons à organiser des réunions en restant chez nous. Nous allons passer à une forme hybride de travail au bureau et de travail à domicile. Je m'attends à une prolifération des modèles de travail hybrides dans de nombreux secteurs. Prenez le secteur de l'événementiel, par exemple. J'espère bien sûr qu'il y aura à nouveau des événements commerciaux physiques, mais il serait étrange que nous n'y relierions pas un élément virtuel. Comparez cela à un match de football qui se joue devant 20 000 spectateurs alors que 800 000 personnes suivent aussi le match à la télévision. Nous aurons beaucoup plus de modèles avec une composante en ligne et une composante hors ligne."

Comment voyez-vous l'évolution de l'orientation client des banques?

"Ce que fait KBC avec son application Mobile est très intelligent. Elle va bien au-delà des simples paiements, de ses propres comptes bancaires et de ses propres clients. L'application est une sorte de plateforme autour des paiements. KBC réfléchit aux situations dans lesquelles le client estime que faire un paiement est une corvée et lui facilite donc la tâche. C'est malin! Le renforcement de l'aspect humain sera un défi majeur pour toutes les banques. Les clients Private Banking ont droit au meilleur service personnel que la banque peut offrir dans tous les domaines, physiquement mais aussi par le biais d'un contact numérique. Il importera de susciter aussi ce sentiment de relation personnelle chez les clients autres que Private Banking. La technologie contribuera à fournir ce service sur mesure. Mais le faire correctement sera un défi de taille."

Steven Van Belleghem

  • Expert de l'avenir de l'orientation client et de l'expérience client
  • Conférencier très demandé tant en Belgique qu'à l'étranger
  • Professeur de marketing à temps partiel à la Vlerick Business School et professeur invité à la London Business School
  • Auteur de quatre livres qui ont été vendus à plus de 130 000 exemplaires dans le monde
  • Son canal Youtube compte plus de 2,6 millions de visites
  • Co-fondateur de Nexxworks (innovation) et Snackbytes (médias sociaux)
  • Investisseur dans Intracto (numérisation) et Hello Customer (intelligence artificielle)
  • Membre du conseil d'administration de Plan International Belgium


 

Cette nouvelle ne constitue ni une recommandation d'investissement ni un conseil.