Grands marchés émergents et marchés frontières

La notion de 'marchés émergents' n'a pas de signification ou définition fixe. Elle est pourtant utilisée quotidiennement par les économistes, les investisseurs, les journalistes, les décideurs politiques et les institutions pour désigner une grande partie de l'économie mondiale.

En période de hausse des taux et de vigueur du dollar américain, les analyses et les articles se multiplient pour avertir de l'arrivée imminente d'une crise dans les économies émergentes. Mais comme il n'existe pas de définition précise d'un marché émergent et qu'il y a de grandes différences entre les économies classées dans cette catégorie, ces débats peuvent semer au mieux la confusion et au pire une panique injustifiée.

Mieux vaut donc parler de marchés émergents en général et établir au sein de cette catégorie une distinction entre les grands marchés émergents et marchés frontières.

Marchés émergents: plusieurs critères

Dans le cadre de la mise à jour annuelle du Baromètre KBC de la Durabilité, nous constatons que les économies émergentes 'se caractérisent dans l'ensemble par un important afflux d'investissements étrangers directs, un haut degré d'industrialisation et une grande ouverture aux marchés internationaux... Ces pays traversent généralement une importante phase de transition, avec des niveaux de prospérité (PIB par habitant) qui augmentent certes rapidement mais sont souvent inférieurs, voire nettement inférieurs dans certains cas, à ceux des pays développés.'

Nous pouvons tirer de cette définition large et très générale plusieurs critères pour classer les marchés émergents.

Revenu par habitant

Le premier critère est le revenu par habitant, les économies à revenu élevé étant généralement considérées comme développées ou avancées. Mais il convient d'établir une distinction entre les économies à faible revenu et les économies à revenu moyen supérieur, par exemple.

Le FMI distingue les économies développées, en transition et en développement et tient compte de quatre groupes de revenus1. Sur la base de ces classifications, il existe un lien clair entre le revenu et le niveau de développement, mais ce lien n'est pas univoque.

Les économies en transition affichent ainsi en général un revenu moyen supérieur, tandis que les économies 'les moins développées' au sein du groupe des pays en développement présentent généralement un faible revenu ou un revenu moyen inférieur. Mais la catégorie plus vaste des économies en développement englobe aussi des économies à faible revenu, à revenu inférieur, à revenu supérieur et même à revenu élevé.

Ouverture aux marchés internationaux et état des infrastructures et des institutions

Pour établir une distinction parmi ces groupes de pays très différents, nous devons également tenir compte d'autres facteurs, tels que l'ouverture aux marchés internationaux ou aux investissements étrangers et l'état des infrastructures et des institutions.

MSCI utilise 3 critères pour distinguer les marchés développés, émergents et frontières:

  • RNB par habitant
  • taille et liquidité du marché
  • accessibilité du marché

Il en résulte un groupe plus restreint de 25 économies émergentes et un groupe distinct de 21 économies frontières, caractérisées par une accessibilité et une liquidité plus limitées².

Le principal indice des marchés émergents de JP Morgan (EMBI Global) ne fait pas de distinction entre les économies émergentes et frontières, mais les marchés présentant une taille, une accessibilité et une liquidité réduites y possèdent un poids limité³.

Pourquoi établir une distinction entre les économies émergentes?

L'établissement d'une distinction entre les économies émergentes est utile pour plusieurs raisons. Il convient bien entendu de souligner que les crises dans tous les marchés en développement revêtent une grande importance d'un point de vue social et en termes de développement et devraient constituer une préoccupation majeure pour les dirigeants et les décideurs mondiaux.

Cela est d'autant plus le cas maintenant que la Chine est devenue le plus grand créancier au monde. Ces dettes ont été majoritairement contractées par des pays à faible revenu, ce qui balaie la transparence des statistiques de la dette et soulève des questions quant à la manière dont la Chine pourrait coopérer avec d'autres créanciers lorsque des dettes publiques demeurent impayées.

  • Une crise dans une grande économie émergente, fortement intégrée dans le système financier international, est susceptible d'avoir un impact significatif à l'échelle mondiale, avec des risques importants de contagion à d'autres marchés ou à l'économie mondiale.
  • Les crises dans les pays à revenu inférieur ou les économies frontalières comportent également des risques, mais dans une mesure bien moindre. Des arguments similaires peuvent être avancés pour les crises dans les économies dotées de marchés financiers transparents et confrontées à des problèmes économiques ou financiers idiosyncratiques.

Les investisseurs doivent être conscients du risque accru associé à ces actifs. Des turbulences sur ces marchés ne devraient pas nécessairement entraîner un changement d'humeur à l'égard des marchés émergents dans leur ensemble.

Une distinction entre les économies émergentes s'impose, surtout dans le contexte actuel

Les marchés émergents sont actuellement confrontés à un endettement élevé, à des taux en hausse, à un dollar américain fort et à de fortes pressions inflationnistes.

En outre, les récentes opérations de sauvetage ou négociations du FMI pour au moins trois économies émergentes (Sri Lanka, Zambie et Ghana) ont fait la une des journaux et attisé l'inquiétude à l'égard des économies émergentes en général.

Il convient toutefois de tenir compte des spécificités de ces économies. Il s'agit d'économies à revenu moyen inférieur, qui ont été classées par MSCI dans la catégorie des marchés frontières (Sri Lanka) ou dans aucune catégorie (Zambie et Ghana) et possèdent un poids minime dans l'EMBI mondial (Ghana: 0,56%, Sri Lanka: 0,28%, Zambie: 0,14%). En outre, chaque économie est confrontée à des défis spécifiques, qui ont débouché sur la nécessité d'une opération de sauvetage.

La donne est quelque peu différente pour les grands marchés émergents. Les déficits courants ont généralement augmenté en raison des prix élevés de l'énergie et des denrées alimentaires, mais ils sont plus tenables que dans les années 80 (Amérique latine) ou 90 (Asie émergente) (figure 1). Il en va de même pour la dette extérieure par rapport aux exportations (figure 2).

Selon les normes du FMI, la couverture des réserves par rapport à la dette extérieure est aussi largement suffisante dans ces pays (couverture totale de la dette à court terme). En outre, les principales banques centrales des marchés émergents ont rapidement réagi à la menace inflationniste en resserrant leur politique monétaire.

Une opération de sauvetage accordée par le FMI à un marché émergent ne signifie pas nécessairement l'arrivée d'une crise imminente pour les autres marchés émergents, malgré le contexte macroéconomique difficile actuel, en particulier pour les économies à revenu inférieur confrontées à une lourde dette et une inflation vertigineuse.

Current Account Balance, % of GDP
External debt % of exports
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1. World Economic Situation and Prospects 2022 (un.org)
2. Market Classification - MSCI
3. JP Morgan EMBI Monitor September 2022

Cette nouvelle ne constitue ni une recommandation d’investissement ni un conseil.