Interview avec Bart Lannoo (Be-Mobile)
La voiture autonome n’est pas encore pour demain
Si la voiture autonome se fait toujours attendre, l’arrivée du véhicule connecté se concrétise peu à peu. Équipé de caméras et de capteurs, il reçoit également des informations qui lui sont transmises par d’autres voitures, l’infrastructure routière et des sources externes. Dans le Benelux, l’entreprise Be-Mobile est un acteur important dans la transmission de données aux véhicules. « Actuellement, cette transmission se fait encore à l’aide d’une application smartphone et l’intervention d’un conducteur est toujours nécessaire. Dans le futur, les informations importantes seront directement transmises à la voiture qui pourra les utiliser pour prendre certaines décisions’, explique Bart Lannoo, Innovation Director chez Be-Mobile.
Il y a 10 ans, les experts, du moins les plus optimistes d’entre eux, pensaient que la voiture autonome ferait son apparition une dizaine, voire une quinzaine d’années plus tard. Mais à présent, il est clair que l’arrivée de celle-ci n’est pas encore pour demain, pour autant qu’elle arrive un jour. Bart Lannoo est confiant, mais il ne serait pas étonné qu’il faille attendre 2030-2040, voire 2050 avant que les voitures puissent rouler de manière complètement autonome. Bart Lannoo est Innovation Director chez Be-Mobile depuis début 2022. Il travaillait auparavant chez Imec où il était en charge de projets ayant trait aux véhicules connectés et autonomes.
Pouvez-vous présenter Be-Mobile ? Même si la plupart des gens connaissent peut-être déjà l’entreprise grâce aux informations trafic communiquées aux médias, aux services publics et aux particuliers ?
« L’entreprise Be-Mobile existe depuis une quinzaine d’années et elle est principalement active dans le Benelux. Le marché néerlandais est aussi important que le marché belge. De plus, nous avons des projets en cours au Danemark, en Allemagne, en Turquie, en Pologne et dans plusieurs autres pays. Il y a 110 personnes qui travaillent au siège de Melle et 30 aux Pays-Bas. Be-Mobile est un prestataire de services qui œuvre pour une mobilité intelligente. Nous possédons énormément de données de circulation historiques et en temps réel qui nous permettent effectivement de transmettre des informations trafic, mais ce n’est qu’une des nombreuses applications. Nos données permettent également d’effectuer des analyses de trafic pour les services publics. De plus, nous sommes actuellement en train de développer un outil grâce auquel nous seront également en mesure de prédire, sur base de nos données, les conséquences que la décision de fermer ou de mettre telle ou telle rue en sens unique aura, par exemple, sur les rues avoisinantes.
Nous travaillons aussi énormément sur la gestion du trafic. Les systèmes de téléjalonnement en constituent un exemple très simple. C’est le logiciel de Be-Mobile qui oriente les automobilistes vers les parkings souterrains et indique sur les panneaux, ou même dans la voiture, le nombre de places encore disponibles. Nous fournissons également des informations pour la commande des panneaux dynamiques que l’on trouve sur les autoroutes et qui indiquent, par exemple, des limitations de vitesse ou annoncent un accident ou des embouteillages.
Autre application : réduire ou augmenter la durée de la phase verte des feux de circulation afin de fluidifier le trafic. Nous sommes également en mesure d’accorder la priorité aux ambulances ou aux véhicules de pompiers à ces mêmes feux. La prochaine étape consistera à transposer les données de trafic en actions concrètes et à utiliser ces données pour commander des éléments tels que les panneaux dynamiques ou les feux de signalisation.
Une autre application de la gestion de trafic porte davantage sur le paiement et le péage. Nous avons bien entendu notre application de stationnement 4411. Une éventuelle taxe kilométrique intelligente pourrait également utiliser les informations concernant l’emplacement d’un véhicule et l’heure à laquelle il se trouve à un endroit précis. En combinant intelligemment toutes ces solutions, nous obtiendrons un système de gestion de trafic complet qui nous permettra d’aider les gestionnaires de voiries à atteindre les objectifs visés par leurs politiques et d’optimiser le temps de trajet des utilisateurs individuels ».
Nous connaissons le système de péage appliqué au tunnel de Liefkenshoek ou en France. En quoi consiste exactement une taxe kilométrique intelligente ?
« Cela signifie que ce sont le lieu et le moment qui déterminent le montant de la taxe. Ce montant peut, par exemple, être plus élevé durant les heures de pointe que durant les heures creuses, il sera peut-être moins cher de circuler sur le ring d’une petite ville que sur celui de Bruxelles ou d’Anvers à la même heure. Cette taxe nécessite d’avoir, à tout moment, connaissance de l’endroit où un véhicule circule. L’instauration d’une telle taxe relève bien entendu d’une décision politique. L’entreprise Be-Mobile est actuellement associée à un projet concernant les camions. Nous allons fournir le logiciel qui permettra de déterminer le lieu et l’heure exacts et de fixer ainsi un tarif correct en fonction de ces données. Ce sont donc toujours des données qui constituent le point de départ de nos activités. Bien entendu, c’est nous qui veillons également à ce que les informations importantes parviennent dans les voitures ou dans les camions. Nous utilisons, à cet effet, notre application Flitsmeister avec laquelle nous envoyons directement des informations aux automobilistes. Bien qu’il s’agisse d’une application de navigation, de nombreuses personnes l’utilisent également comme une application d’avertissement. Elle annonçait, à l’origine, la présence de radars mais elle offre à présent de nombreuses autres fonctionnalités. »
Qui sont les clients de Be-Mobile?
« Les services publics sont très importants, mais nous fournissons également des services aux entreprises, ainsi qu’aux particuliers par le biais de nos applications. En ce qui concerne les entreprises, nous possédons, par exemple, un compte professionnel pour 4411. Cette application offre d’ailleurs bien d’autres fonctionnalités que le paiement du stationnement. Elle permet également d’acheter des billets De Lijn ou SNCB. 4411 va donc évoluer pour devenir une application multimodale qui associera divers services de mobilité et les paiements y afférents. La navigation multimodale est déjà prévue dans l’application Slim naar Antwerpen pour laquelle Be-Mobile fournit la technologie de navigation sous-jacente. Be-Mobile se base toujours sur les déplacements en voiture mais la multimodalité devient de plus en plus importante. Dans le cadre d’un projet d’étude européen réalisé en collaboration avec la ville d’Anvers, nous visons à inciter nos abonnés Flitsmeister à utiliser les Park and Rides situés en périphérie de la ville.
Lorsqu’une personne quitte son domicile pour se rendre à Anvers, elle reçoit d’emblée une notification qui lui rappelle la présence d’un Park and Ride d’où un tram part toutes les deux minutes. L’application indique également d’office le temps ou l’argent que cette alternative lui permettra d’économiser. Une prochaine étape consistera éventuellement à proposer le train comme alternative en cas d’embouteillages importants. »
Des acteurs importants comme Google Maps communiquent également ce genre d’informations. En quoi l’entreprise Be-Mobile fait-elle la différence ?
« Nous nous démarquons surtout par notre ancrage local et nos contacts directs avec les villes et les communes. L’une des principales critiques formulées à l’encontre des applications de navigation est qu’elles incitent les usagers à emprunter les petites routes. Nous venons d’entamer un projet d’étude destiné à déterminer l’itinéraire le plus acceptable d’un point de vue social. Celui-ci évite au maximum les environnements scolaires et les quartiers résidentiels et maintient la circulation sur les axes principaux le plus longtemps possible. Nous développons, avec la ville d’Anvers, un planificateur d’itinéraire pour les camions. Celui-ci visera à tenir les camions autant que possible à l’écart des zones scolaires durant les heures de pointe. Et idéalement, les camions et les voitures ne seront pas tous envoyés sur la même route afin de répartir la circulation et de garantir à chacun la durée de trajet moyenne la plus courte. »
Mercedes-Benz a récemment présenté la première voiture disposant d’un certificat de niveau 3 en matière d’autonomie. Qu’est-ce que cela signifie ?
« Une voiture de niveau 0 n’offre aucun système d’assistance tandis qu’une voiture de niveau 5 circule de manière complètement autonome. Actuellement, de nombreuses voitures se trouvent au niveau 2. Elles sont équipées de systèmes d’aide à la conduite avancés tels que l’Adaptive Cruise Control ou la Lane Assistance. C’est toujours le conducteur qui conduit la voiture, mais il est déjà bien aidé. Vous souvenez-vous de ce conducteur qui, il y a quelque mois, a fait un malaise sur l’autoroute E314 et dont la voiture a encore parcouru 25 kilomètres de manière autonome avant d’être immobilisée par la police ? Il s’agissait d’un véhicule de niveau 2. À partir du niveau 3, c’est principalement la voiture qui assure la conduite, mais le conducteur doit prendre le relais lorsque cela s’avère nécessaire, surtout lorsqu’il circule en ville. Les vitesses auxquelles le véhicule peut rouler de manière autonome sont également relativement faibles. Elles ne dépassent pas 60 km/h sur autoroute, comme dans une file. À partir du niveau 4, le conducteur doit rester vigilant, mais il est moins actif qu’au niveau 3. Au niveau 5, il pourra rabattre le volant et les pédales et la voiture roulera de manière totalement autonome. Bientôt, toutes les nouvelles voitures qui sortent d’usine devront obligatoirement être de niveau 2. Mercedes dispose de la première certification mondiale pour le niveau 3. »
Combien de temps faudra-t-il pour atteindre le niveau 5 ?
Combien de temps faudra-t-il pour atteindre le niveau 5 ?
« En 2010, on disait que nous aurions des voitures autonomes en 2020, mais il y a encore un long chemin à parcourir. Il y a très peu de chances pour qu’elles fassent leur apparition en 2030. Peut-être en 2040 ou en 2050. L’un des principaux problèmes est la fiabilité du système en fonction du type de route, du type de temps, de l’environnement et de la situation.
Actuellement, il existe encore trop de situations dans lesquelles la fiabilité ne peut être garantie. L’une des conséquences de ce phénomène est qu’un véhicule autonome est parfois trop prudent. Il est difficile de s’insérer ou de traverser une route rapidement car le véhicule ne veut prendre aucun risque. Une voiture autonome s’arrêtera également à un « stop », ce qui est obligatoire, mais elle restera immobile pendant trois secondes, même s’il n’y a pas d’autres usagers dans les environs. »
Qu’en est-il des questions éthiques ? Un véhicule va-t-il choisir de percuter un mur avec tous les risques que cela implique pour ses occupants ou de renverser un piéton ?
« En fait, la voiture autonome doit veiller à ne pas devoir faire ce genre de choix. Si elle a détecté la présence d’enfants en train de jouer suffisamment longtemps à l’avance, elle pourra anticiper. Une voiture autonome dispose, en principe, d’un champ de vision largement supérieur à celui de l’homme. Elle peut voir ce qu’il se passe à l’angle d’une rue ou 10 voitures plus loin car elle reçoit des notifications d’autres véhicules qui se trouvent dans les environs et qui sont également équipés de capteurs et de caméras. S’il n’y a aucun véhicule de ce type à proximité, la voiture autonome redoublera de prudence pour tourner au coin d’une rue ou s’engager dans un carrefour. Si elle dispose de toutes les informations, elle roulera de manière beaucoup plus fluide. »
Qu’en est-il des messages si une voiture autonome freine violemment devant une feuille d’arbre en train de voltiger ? Ou d’une voiture qui ne remarque pas un véhicule blanc à cause du soleil ?
« Il y a quelques années, ces problèmes étaient encore bien réels. La situation a évolué depuis lors. Les voitures ne sont pas seulement équipées de caméras, mais également de systèmes radars et de capteurs qui utilisent plusieurs fréquences. Il y a progrès à cet égard, mais il existe effectivement des milliers de situations possibles. L’amélioration de la fiabilité du système demeure un véritable défi. »
Les conducteurs accepteront-ils de lâcher le volant ?
« S’ils en voient les avantages, ils le feront. Ils gagneront beaucoup de temps et ils pourront se détendre ou travailler pendant le trajet. Et s’ils peuvent avoir accès à des véhicules autonomes sur demande, ils n’auront même plus besoin de posséder leur propre voiture. La voiture autonome est promise à un bel avenir si la technologie est au point et si elle est abordable. »
La voiture autonome verra-t-elle le jour ?
« Pour l’instant, il y a déjà des véhicules autonomes qui circulent sur des terrains fermés, à des endroits spécifiques ou qui effectuent des trajets fixes. Il y a encore beaucoup de travail à accomplir avant que ceux-ci roulent en ville. Mais je pense que le véhicule totalement autonome fera un jour son apparition ».