Le greenwashing implique de gros risques pour une entreprise

Une « directive européenne sur les allégations écologiques » est à l’étude.

Beaucoup d'entreprises font des efforts considérables pour améliorer leur durabilité et, naturellement, en font volontiers étalage. « Une minorité profite de cette prolifération des allégations pour diffuser des informations incomplètes, incorrectes ou non pertinentes et s’approprier à tort une image durable. C'est du greenwashing », explique le spécialiste Kurt Devooght.

Kurt Devooght est un ancien professeur de macroéconomie à la KU Leuven, qui s'intéresse particulièrement aux thèmes économie et éthique et économie et durabilité. Il est toujours très actif dans le domaine de la durabilité et des investissements responsables. Il préside le conseil consultatif externe « Responsible Investing » de KBC et est un membre indépendant du KBC Proxy Voting and Engagement Committee. Private Expert a eu une conversation avec lui sur la question du greenwashing.

Qu'est-ce que le greenwashing ?

« Le greenwashing implique que les entreprises se présentent, elles ou leurs produits, comme plus écologiques ou plus durables qu'elles ne le sont en fournissant des informations incomplètes, incorrectes ou non pertinentes. Par informations incomplètes, il faut entendre qu'elles ne communiquent qu'une partie de la vérité, sans toutefois mentir. Si elles sont incorrectes, cela va encore plus loin, il s'agit alors d'informations fausses et trompeuses. Les informations non pertinentes impliquent qu'une entreprise invoque des allégations plus durables ou plus écologiques alors qu'elles ne concernent qu'une partie très minime de ses activités ou de ses produits. Par exemple, elle ne parle que de l'emballage en papier recyclé alors que le contenu peut être très polluant, contenir de nombreux microplastiques ou entraîner d'importantes émissions de CO2, ce qu’elle passe sous silence. Bien sûr, il n'est pas nouveau que des entreprises donnent des informations trompeuses ou incomplètes à propos de la qualité de leurs produits ou qu'elles les présentent sous un jour beaucoup trop favorable. Ce phénomène existe depuis que les emballages et la publicité existent. Les entreprises poussent leurs allégations jusqu’aux limites autorisées, voire les outrepassent parfois. La particularité du greenwashing est que les allégations fausses, incomplètes ou non pertinentes portent sur l'écologisation, la durabilité, le respect de la nature et de l'environnement, la préservation de la biodiversité, la réduction des émissions de CO2, la lutte contre la déforestation. Toute la gamme des outils de communication peut être utilisée à cette fin : l'emballage, le site web, les rapports de durabilité, les publicités, etc. »

Pouvez-vous donner quelques exemples de greenwashing ?

« BP, par exemple, a changé son nom de British Petroleum en Beyond Petroleum ou « au-delà du pétrole » en 2002. Le message sous-jacent était que l'entreprise laissait le pétrole derrière elle et s’engageait dans la transition énergétique. Un nouveau logo est apparu : un soleil avec un liseré vert. Mais BP était certainement à l'époque et est toujours aujourd’hui un acteur majeur dans le domaine des combustibles fossiles. Cette refonte de l'image de la marque avec des mots et des images était beaucoup plus subtile que de ne pas faire ce que vous prétendez ne pas faire. Un autre exemple, plus récent, est celui de KLM, condamnée pour greenwashing aux Pays-Bas. Elle avait déclaré qu'elle compensait les émissions de CO2 de ses vols, notamment par des projets de reboisement. Tout cela est bien beau mais cela ne fonctionne pas, mais il faudra peut-être attendre encore vingt ou trente ans avant que l’arbre puisse extraire de l'air le volume de CO2 annoncé. Nombre de ces projets de compensation de CO2 n'atteignent pas le résultat escompté. Souvent, les forêts ne sont même pas plantées et la population locale est plutôt payée pour ne pas abattre la forêt tropicale. Les arbres restent où ils sont, mais entre-temps, de nouvelles émissions de CO2 sont produites et ne sont pas compensées. Les allégations selon lesquelles de tels projets de compensation ont un impact énorme et compensent effectivement une grande partie de l'impact environnemental d'une entreprise sont souvent trompeuses. »

Chaque emballage porte un logo vert. Comment est-ce réglementé ?

« Aujourd’hui, dans la plupart des pays, les entreprises peuvent décider elles-mêmes de ce qu'elles communiquent, tant qu'elles ne violent pas la loi générale sur les pratiques commerciales trompeuses. Toutes sortes d'allégations sont formulées mais ne sont que peu contrôlées. Chaque entreprise peut créer son propre label. Le consommateur voit le symbole vert d'un arbre ou d'une feuille et pense qu'il achète un produit plus durable. Rien que pour la Belgique, le site labelinfo.be comporte 106 labels de durabilité, et leur nombre va croissant. Il est impossible de déterminer exactement ce qu'ils signifient tous. Si certains labels sont contrôlés par des consultants externes, la majorité d'entre eux ne le sont pas. C’est donc une matière assez peu réglementée, mais un changement s’amorce. Une ‘directive européenne sur les allégations écologiques’ est à l’étude. »

Qu'impliquera-t-elle ?

biais de mots, d'images ou d’éléments graphiques concernant l'ensemble du processus de production, de la gamme ou de l'entreprise. Par exemple : nous sommes bio, écologiques, respectueux de l'environnement, neutres sur le plan climatique, nos produits sont naturels. À moins qu'elles disposent d'un certificat délivré par un tiers agréé qui contrôle et examine l’allégation. Il pourrait éventuellement y avoir une sorte d'écolabel européen à terme. Un deuxième élément est que les labels privés qu'une entreprise établit elle-même sont appelés à disparaître. En troisième lieu, les entreprises ne seront plus autorisées à utiliser le terme de neutralité climatique s’il se justifie uniquement par les mécanismes de compensation que j'ai déjà évoqués. Cela ne suffira plus, l'UE veut encourager les entreprises à agir elles-mêmes pour réduire leurs émissions.

Par exemple, il existe de nombreux projets visant à lutter contre la cuisson à feu ouvert en Afrique. Des petits poêles sont mis à disposition des habitants afin qu'ils n'aient plus besoin que de la moitié du bois pour cuisiner. Il s'agit de projets intéressants, mais une entreprise ne pourra plus invoquer sa neutralité climatique parce qu'elle soutient de tels projets. Vous devez réaliser vous-même une réduction de vos émissions. Les allégations vagues ou futures ne seront plus possibles non plus. C’est le cas, par exemple, d’une entreprise qui annonce sur son site web qu'elle possède un plan pluriannuel et un département consacré à la durabilité, mais ne dit rien à propos de ce plan, de ses objectifs et de ses résultats. Ou une entreprise qui prétend qu'elle ne fait encore rien mais qu'elle s’engagera résolument en faveur de la durabilité à partir de 2030. »

Ces règles préserveront-elles le monde du greenwashing ?

« Une réglementation est une bonne chose, mais elle ne suffira pas à elle seule pour interdire le greenwashing. Si une entreprise affirme avoir réduit ses émissions de CO2 de cinquante pour cent depuis 1980, c'est peut-être vrai. Mais comment le vérifier, comment les mesures ont-elles été prises ? Et qui déposera une plainte et entamera une procédure longue et coûteuse ? En outre, une réglementation supplémentaire conduira à intensifier l'administration et le contrôle. »

Outre la réglementation, que peut-on encore faire pour lutter contre le greenwashing ?

« Les ONG ont certainement un rôle à jouer, car elles ont souvent acquis de l’expertise sur les entreprises dans un secteur particulier, comme les transports. Les universités et le journalisme sont également très importants. La recherche indépendante est essentielle. Elle peut garantir que les consommateurs sont correctement informés afin qu'ils adaptent leurs habitudes d'achat et de consommation. Ils peuvent sanctionner les entreprises qui se livrent au greenwashing, ce qui peut aller jusqu'à un boycott des consommateurs.

Je crois également en un nombre limité de bons labels. Les organismes qui délivrent et contrôlent ces labels sont des acteurs importants. Il est recommandé qu'ils travaillent en bonne intelligence avec les gouvernements, les producteurs et les consommateurs. La table ronde sur l'huile de palme plus durable en est un bon exemple. Toutes les parties intéressées se sont réunies pour travailler ensemble à l'obtention d'une certification faisable et contrôlable. Un autre exemple est le FSC, le Forest Stewardship Council, qui certifie le bois mais aussi le papier recyclé. Il s'agit d'un bon label international qui travaille à l'amélioration de l'ensemble de la chaîne.

Enfin, les banques peuvent également avoir un impact, notamment par l'octroi de prêts. De plus en plus de banques accordent une réduction sur les taux pour les prêts qui servent à rendre un processus de production plus durable. Par exemple, pour poser des panneaux solaires ou électrifier la flotte de véhicules. Une autre façon pour les banques de peser sur la durabilisation passe par les produits d'investissement responsables qu’elles proposent. Ils comprennent des entreprises ayant un bon track record en matière de développement durable au sens large. Si les banques opèrent une sélection pour ces portefeuilles d'investissement, le greenwashing est évidemment l'un des facteurs qu'elles prennent en compte. Les banques entament également une discussion avec des entreprises de leurs portefeuilles d'investissement, les invitant à apporter des modifications ou des améliorations en rapport avec la durabilité. Les entreprises qui apportent trop peu de changements ou qui obtiennent un score trop faible peuvent être écartées du portefeuille. »

Le greenwashing est-il surtout l’affaire de grandes entreprises ?

« Les entreprises plus petites n’empruntent pas si souvent cette voie. En général, la durabilité ne fait pas partie de leurs priorités, elles se livreront donc moins au brainwashing. Le greenwashing est particulièrement fréquent dans les grandes entreprises qui s'adressent à un large public pour lequel le développement durable est important. Cela peut paraître étrange, mais il y a aussi un élément positif au greenwashing. Cela indique que les entreprises réalisent que la durabilité est importante pour au moins une partie de la population et que le consommateur y est devenu plus sensible. L'étape suivante sera peut-être pour l'entreprise d’oeuvrer effectivement à la durabilité parce qu'elle verra que cela fonctionne. »

Et, naturellement, le fait que certaines entreprises s’y livrent ne signifie pas que toutes le fassent.

« Non, il ne faut pas être trop négatif. De nombreuses allégations de durabilité sont correctes, les entreprises font aujourd'hui des efforts considérables pour devenir plus durables. Une minorité d'entreprises profite de la prolifération des allégations et du manque de transparence pour se livrer au greenwashing. La réglementation ne permettra pas d'éliminer toutes ces entreprises. Il appartient également au consommateur de rester attentif et de rechercher des informations fiables. »

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Cette nouvelle ne constitue ni une recommandation d'investissement ni un conseil.