Interview Xavier Taveirne, VRT

La solitude n'est jamais un libre choix.

De Warmste Week n’hésite pas à aborder des thèmes importants, et cette année, la VRT prend à bras-le-corps l'un des plus importants et des plus prégnants : la solitude. Et Xavier Taveirne, le visage de « WinWin », souhaite contribuer à sensibiliser à ce thème. Parce qu'entre-temps, il en connaît un rayon.

Le thème de la « solitude » vous tient à coeur depuis un certain temps. Comment y avez-vous été confronté ?

« Je n’ai pas la prétention d’être très intuitif, mais je sais lire les émotions sur un visage. En me promenant en ville, j'ai été frappé par le nombre de personnes qui y marchent seules. Certaines le font avec le sourire, mais mon coeur se serre face à l’archétype de la personne âgée avec ses cabas qui attend pour traverser. Je me suis demandé si ces gens n'avaient vraiment personne pour les aider, et j'ai commencé à en parler autour de moi. Des amis ou connaissances m'ont répondu qu'ils avaient, eux aussi, connu à l’occasion ce sentiment de solitude, et, tout à coup, j'ai commencé à la voir partout : la solitude dans tous les coins et recoins de notre société. »

« Parce que je voulais que l’on puisse parler de ce thème, j'ai commencé à discuter avec la maison de production De Chinezen, et nous avons réalisé la série de documentaires « Eenzaam ». Non pas pour résoudre ce problème mais pour y sensibiliser le public. Ne serait-ce que pour faire sentir aux personnes en proie à la solitude qu'elles ne sont pas seules, que d'autres ressentent aussi ce qu'elles ressentent. »

La solitude est-elle une émotion que vous avez déjà ressentie dans votre vie ? Peut-on parler d'émotion ?

« Nous avons tous connu des moments de solitude. En ce qui me concerne, c'était lorsque j'étais à l’internat, mais cela n’a pas duré. Et je ne sais pas si c'est une émotion. Il s'agit plutôt d'un état d'esprit, comme un ami de longue date que vous aimeriez ne pas avoir à vos côtés. C'est en tout cas l’impression que ça me donne, comme un compagnon, qui s’appuie toujours sur votre épaule. »

Vous avez réparti les quatre épisodes d’« Eenzaam » en fonction de l'âge. La solitude se ressent-elle différemment selon les étapes de la vie ?

« La base, l'émotion brute est la même, je pense : vous ne parvenez pas à établir de connexion avec les autres. Mais les circonstances sont différentes. Dans le premier épisode, par exemple, nous avions un jeune qui avait du mal à parler avec les autres. Il ne pouvait pas parler de la pluie et du beau temps, il voulait aller directement au fond des choses et, du coup, n’allait pas boire un verre avec d'autres personnes. Il y avait aussi un autre jeune, d'origine mixte, qui se sentait seul parce qu'il ne se sentait chez lui ni ici, ni dans le pays d’origine de ses parents. »

« Et puis, ça continue. Dans la trentaine ou dans la quarantaine, la solitude ressurgit, par exemple à la suite d'un divorce. Parfois, les divorcés se retrouvent seuls à s'occuper des enfants. Ou encore, vous devenez aidant de proximité, et vous n'avez plus de temps pour le reste. Vous vous éloignez de vos amis. Prenons l’exemple de cet homme qui s'occupait de sa femme atteinte de démence et n'avait plus de contact avec personne. »

Qu'avez-vous appris de votre documentaire sur la solitude ?

« Les personnes qui vivent dans la solitude ne sont pas des gens bizarres. Parce que ce préjugé est bien présent : vous êtes seul, donc vous devez être bizarre. S'il y a une chose sur laquelle je veux insister, c’est bien celle-là : cela peut arriver à tout le monde. La solitude n'est jamais un libre choix. Pour moi, c'est même la définition : on souffre de solitude si l'on n’a pas décidé soi-même d'être seul. »
« Et ce n'est jamais de votre faute non plus. Les gens disent « Il faut que tu sortes plus ». Mais ce n'est pas si simple. »

Apparemment, le sujet est encore très tabou.

« Je le pense bien. Nous avons essayé de briser ce tabou en partie avec « Eenzaamheid », mais cela reste une conversation malaisée. Car comment réagissez-vous lorsque quelqu'un vous dit qu'il souffre de solitude ? »

Que recommandez-vous ?

« Je n’ai qu’une chose à dire : n’essayez pas de trouver une solution. Car ce n'est pas si simple. La pauvreté, par exemple, peut également être un élément déclencheur important. Dans ce cas, vous commencez à vous exclure parce que vous n’avez pas de quoi payer. Et imaginez que quelqu'un vienne vous dire : je suis seul parce que je vis dans la pauvreté. Un pavé dans la mare ! Neuf personnes sur dix n’ont qu’une idée en tête, changer de conversation, tout simplement parce qu'elles ne savent pas comment réagir. »

« Donc, écoutez. Posez des questions. Demandez à votre interlocuteur ce qu’il en est, si vous pouvez faire quelque chose. Laissez les gens raconter leur histoire. C'est aussi ce que j'ai dit tout de suite au printemps dernier lorsqu'on m'a appelé pour m’annoncer que la solitude serait le thème central de De Warmste Week. Il faut aborder ce genre de choses. Je suis donc très heureux que ce thème soit à nouveau mis à l’honneur. »

Quatre ans se sont écoulés après le documentaire et les choses ne se sont pas améliorées ?

« Je n'ai pas de chiffres à ce sujet - c'est difficile, car ce n'est pas simple à mesurer - mais je crains que non. Nous devons être vigilants sur la question. Si, dans nos villes et communes, des gens peuvent être morts chez eux depuis quatre semaines et que nous ne nous en apercevons que lorsqu'ils commencent à sentir mauvais, c'est que nous avons un problème en tant que société. »

« En fait, il devrait y avoir un ministre de la solitude, quelqu'un qui s’assure qu’une mesure prise ne va pas aggraver la solitude. Les villes et communes devraient continuer à investir dans des centres de services qui soient aussi des lieux de rencontre. Où des personnes en situation de pauvreté peuvent recevoir un repas abordable et engager la conversation avec des gens sur la même longueur d’onde. Cela pourrait faire bouger les choses. »

Que pouvons-nous faire, en tant que citoyens ordinaires, pour aider les personnes souffrant de solitude ?

« Ce que j'ai dit : écoutez. Et peut-être pourrez-vous saisir la balle au bond. Dire : Je passerai ce soir, et on fera ça ou ça. Proposer simplement de regarder ensemble « The Voice » chaque semaine peut déjà aider. Ou vous faites un saut de temps en temps pour papoter un peu. Il ne faut pas forcément le faire chaque jour - nous ne sommes pas tous adeptes de l'auberge espagnole - mais le simple fait de parler et d'écouter, c’est déjà beaucoup. Et essayez de ne pas y penser comme une corvée à accomplir, mais simplement comme une forme de restitution. Parce que je crois fermement que, si tout va bien dans votre vie, vous pouvez certainement donner quelque chose en retour. Même si ce n'est qu'à petite échelle. »

Le suivi du programme a été difficile, nous avez-vous dit. Comment gérez-vous cela, avec toutes ces histoires qui vous ont ensuite été racontées par e-mail ?

« Il y en avait beaucoup. Et j'ai gardé des contacts avec quelques personnes par la suite, mais j'ai pris mes distances petit à petit. Parce qu'il faut lâcher prise, on ne peut pas laisser chaque histoire peser sur ses propres épaules, sinon on risque d’en perdre le sommeil. Je devais me protéger, car rien ne me ferait plus plaisir que de pouvoir aider le monde entier. Non pas que j'aie un complexe de Messie, mais c'est un piège difficile à éviter. »

Et il ne vous en a pas fallu plus pour devenir le Messie de De Warmste Week ? Qu’allez-vous y faire ?

« Je ne deviendrai pas ambassadeur. D'autres ont été sollicités à cet effet, et ils s’en sortiront très bien. Mais je veux aider là où je peux. Si je dois me tenir avec un mégaphone dans un appartement sur la digue, je le ferai. Car je suis très heureux que la solitude ait été choisie comme thème. Pour l'instant, je n’ai pas encore reçu de demande concrète, mais je me tiens prêt. Au besoin, je libèrerai complètement mon agenda. »

En tant que fidèle soldat de la solitude ?

« Oui. Je m’investis volontiers pour ce thème. »

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Cette nouvelle ne constitue ni une recommandation d'investissement ni un conseil.