La dernière pièce que j'ai achetée a passé des siècles sous les flots
Les pièces de monnaie anciennes sont souvent considérées comme un investissement, en particulier dans les pays anglo-saxons. La plus-value n'est pourtant pas le seul intérêt du collectionneur Jan Laureys. ‘Pour moi, il s'agit avant tout d’Histoire: les pièces de monnaie en tant que témoins du passé.’
Jan Laureys travaille depuis longtemps au service informatique de KBC. Il consacre une bonne partie de ses loisirs à la collection, à l'achat et à la vente de pièces de monnaie. ‘Je suis passionné par les Pays-Bas bourguignons et espagnols, et par les pièces de monnaie de l’époque. Beaucoup ont découvert cette période, qui s'étend de 1400 à 1700 environ, par la série télévisée ‘Het verhaal van Vlaanderen’.
La plupart des Flamands la connaissent bien mal, alors qu'elle a été décisive pour la Flandre et pour l'Europe. Les périodes grecque et romaine me fascinent aussi, en raison de la beauté des pièces de monnaie de l’époque. Et de temps en temps, je fais un détour par les Croisades quand je peux acheter une belle pièce. Mais je reste principalement spécialisé dans les monnaies des Pays-Bas bourguignons et espagnols.’
Comment avez-vous attrapé le virus de la numismatique?
‘Je l’ai depuis toujours! Mon père, qui a aujourd'hui 81 ans, a commencé sa propre collection lorsqu'il était enfant. Il habitait non loin d’un ancien mont des potences. Lors des fouilles, des pièces de monnaie de l'époque espagnole ont été retrouvées, et mon père a pu en récupérer quelques-unes. Voilà comment tout a commencé. Depuis tout petit, je l'accompagnais dans les foires et les ventes aux enchères. Je me suis passionné pour l'Histoire et cet intérêt ne m'a jamais quitté, pas plus que mon amour pour les pièces de monnaie anciennes. Il y a dix ans, j'ai repris la collection de mon père et je m'y consacre depuis avec passion. Et cette collection s'est solidement étoffée.’
Est-ce un hobby coûteux?
‘La numismatique ne doit pas nécessairement coûter cher. Même un jeune peut commencer une collection avec un budget limité: les prix peuvent aller de quelques euros à... plusieurs millions. Mais les pièces de monnaie deviennent de plus en plus un gros business. Les prix étaient à la hausse depuis plusieurs années, mais après la pandémie et avec la guerre en Ukraine, ils sont passés à la vitesse supérieure. Une pièce a récemment été vendue à Londres pour plus de trois millions de livres.’
Qu'en pensez-vous?
‘Quand les pièces sont aussi vues comme un investissement, en particulier dans les pays anglo-saxons, un autre type d'acheteurs s'engouffre sur le marché et les prix s'envolent. Je pense, personnellement, qu'il y a parfois un engouement excessif et que la valeur des pièces est parfois surestimée.’
Qu'est-ce qui détermine la valeur d'une pièce, pour vous, en tant que collectionneur?
‘Je ne suis pas un scientifique. Pour moi, c'est surtout une question d'Histoire. ‘Ah, si ces pièces pouvaient parler!’: voilà mon angle. L'histoire qui y est liée titille mon imagination. Pour moi, ces pièces sont avant tout des témoins du passé. Par ailleurs, je ne cherche que la meilleure qualité, des pièces qui conserveront de toute façon leur valeur. La qualité dépend de la gravure et de la bonne conservation de la pièce au fil des siècles. Il ne faut pas oublier qu'elles ont jadis été un moyen de paiement, qu'elles sont passées de main en main et qu'elles ont été glissées dans des escarcelles. De nombreuses pièces anciennes présentent des signes d'usure, des rayures et des bosses dues à leur utilisation; souvent, elles ont passé bien des années sous terre ou dans l'eau. Bien sûr, avec mon père, j'ai eu un excellent professeur pour apprendre à juger de la qualité. Et comme pour toute collection, il faut s’informer, se documenter et consulter la littérature spécialisée. Avant, il y avait bien plus de bourses aux monnaies qu'aujourd'hui. Elles étaient très intéressantes: vous pouviez observer, comparer, discuter avec d'autres collectionneurs chevronnés et apprendre. Mon père était autrefois membre de l’Europees Genootschap voor Munt- en Penningkunde, l’alliance européenne numismatique. Les collectionneurs se réunissaient chaque mois dans les sections locales; ils discutaient, échangeaient, achetaient et vendaient. Les collectionneurs se connaissaient, à l’époque.’
Aujourd'hui, tout se passe en ligne?
‘Il existe encore quelques bourses, mais la plupart ont fermé ou envisagent de cesser leurs activités. Il y a quelques semaines, j'étais à Berlin pour la Money Fair et j'ai constaté qu'il y avait toujours beaucoup d'intérêt, y compris chez les jeunes. Ça m'a très agréablement surpris. Mais en effet, beaucoup se passe en ligne aujourd’hui. J'ai moi-même assez vite franchi le pas des enchères sur Internet, quand les grandes maisons de vente ont commencé à le faire. Je regrette quand même que la collection numismatique soit devenue largement anonyme. Moi, je veux voir et connaître les autres collectionneurs.’
Là où l'argent circule, les contrefaçons apparaissent. Est-ce également le cas pour les pièces de monnaie?
‘Pour les périodes bourguignonne et espagnole, il y a peu de faux. Ces pièces étaient encore frappées au marteau et avec des coins qui s'usaient très vite. C’était un travail manuel, et aucune pièce n'était parfaitement identique à une autre. Cette imperfection même complique les falsifications. Et les pièces de cette époque sont toutes assez bien décrites et inventoriées dans des registres qui ont été conservés. Si un grand nombre de ces pièces apparaissait soudainement quelque part, les signaux d’alarme se déclencheraient tout de suite. Avec l'expérience, vous apprenez à évaluer vous-même, et les maisons de vente donnent aussi des cotes. Pour les monnaies des périodes grecque et romaine, c’est différent. Les pièces d'or romaines sont très demandées dans le monde entier, les prix sont élevés et certaines pièces vendues sur Internet sont parfois douteuses. Par ailleurs, il ne faudrait pas sous-estimer l'intérêt pour les monnaies des Pays-Bas: de nombreux Américains y ont leurs racines et collectionnent ces pièces par intérêt pour leur propre histoire. Il y a aussi beaucoup de collectionneurs en Espagne.’
Vendez-vous aussi des pièces, vous-même?
‘Oui. Au fil des ans, je suis devenu de plus en plus sourcilleux sur la qualité. J’essaie à chaque fois d'acheter des pièces toujours plus qualitatives, qui coûtent assez cher. Et pour me les offrir, je revends d'autres pièces de moindre qualité.’
Quelle pièce avez-vous achetée récemment?
‘Ce matin, j'ai reçu une pièce que j'ai achetée à Berlin. Elle vient de l'épave du ’’t Vliegend Hert’, un navire de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales qui a fait naufrage au large de Flessingue en 1735 et qui a été remonté à la surface dans les années 1980. Cette pièce a donc passé deux siècles sous les flots. Les pièces que je collectionne sont souvent nimbées d’histoire. C'est ce qui les rend intéressantes à mes yeux’.