Un passionné d’art et d’architecture: entretien avec Bart Versluys
Si son nom évoque immédiatement sa société immobilière, Bart Versluys est aussi un collectionneur d’art passionné. Dans cet article, il a rassemblé tous ses conseils sur le marché de l’art et la collection d'œuvres.
En quoi l’achat d’œuvres d’art diffère-t-il de l’achat de biens immobiliers?
‘La principale différence est que l’art est un bien meuble, tandis que l’immobilier est un bien... immeuble. L’art n’étant pas attaché à un lieu spécifique, je peux donc, si je le souhaite, déménager chaque année et emmener mes œuvres d’art avec moi. L'immobilier, en revanche, est toujours situé à un endroit fixe.
Pour le reste, il y a aussi des similitudes entre les deux. Ceux qui investissent dans la qualité et l’authenticité ont de bonnes chances de voir leur immobilier et leur collection d'œuvres d’art prendre de la valeur au fil des ans. Ce qui m’intrigue particulièrement, c’est la manière dont l’art et l’immobilier peuvent se renforcer mutuellement, sous forme d’architecture par exemple.
Je pense, ici, à certains projets emblématiques que nous avons développés ces dernières années, notamment le One Carlton, le One Baelskaai et les Ensor Towers, qui marient harmonieusement d’élégants éléments art déco et un cadre moderne et intemporel. J’essaie ainsi d’ajouter une valeur architecturale et visuelle à nos propres projets.
Quelles sont les qualités indispensables à un collectionneur d’art?
‘Les bons collectionneurs ont une vision large du monde. Forts de leurs années d’expérience, de leur expertise et de leur vaste réseau, ils perçoivent les nouvelles tendances avant même qu’elles n’émergent.
.’Un état d’esprit multiculturel et progressiste est essentiel. Les bons collectionneurs d’art se laissent en partie guider par leurs sentiments, mais sans perdre de vue l’aspect matériel: ils gardent toujours à l’esprit la future plus-value potentielle des œuvres qu’ils acquièrent.'
Et vous-même, comment procédez-vous? Avec certaines sources, vos propres recherches, un conseiller...?
‘Il est essentiel d’entretenir de bonnes relations avec les galeries et les maisons de vente aux enchères – en particulier ces dernières, qui soutiennent de manière proactive certaines œuvres et certains artistes. L’appui d’une maison de vente aux enchères renommée joue assurément un rôle primordial dans la valeur d’une œuvre d’art, à court comme à long terme.’
De vos premiers pas, à collectionneur d’art reconnu... comment avez-vous évolué?
‘J’ai commencé très jeune à collectionner des œuvres d’art. Ce monde me fascinait, et j’en ai aussi rapidement compris la valeur commerciale.
.’Si j’ai maintenant des contacts dans le monde entier, je conserve toujours une prédilection pour nos artistes belges, comme James Ensor ou René Magritte. Une forme de fierté nationale, oui!
Je remarque également que nos artistes belges ont gagné en popularité à l’échelle internationale, ces dernières années. Beaucoup voient, à juste titre, la Belgique comme un pays complexe, une terre de compromis parfois impossibles.
Mais on lui reconnaît aussi une indomptable créativité et une forme superlative de surréalisme. C’est précisément ce mariage unique qui a fait le succès de nos artistes, d’aujourd’hui comme d'hier.'
C’est la passion qui motive les collectionneurs. Comment la contrôlez-vous? Avez-vous des conseils tirés de votre propre expérience à partager?
‘Beaucoup de Belges fortunés ont effectivement une passion pour l’art, et prennent délibérément la décision d’investir une partie de leur patrimoine dans de beaux objets et des œuvres d’art.
.’La règle d’or est très simple. N’investissez dans l’art que l’argent dont vous pouvez vous passer. Contrairement à d’autres investissements, comme les actions, l’art n’est pas liquide, ce qui implique que vous n’obtiendrez pas un retour rapide sur votre investissement.
Bien sûr, vous pouvez toujours décider de revendre une œuvre, mais un collectionneur chevronné sait que tout est alors question de calendrier, de l’esprit du temps. Comme la finance, le monde de l’art connaît aussi des tendances à la hausse et à la baisse.
Qui veut négocier et collectionner des œuvres d’art de manière rentable doit veiller à surfer sur la bonne vague. Et cela nécessite une expérience et une connaissance approfondies du marché de l’art, et généralement une solide dose de patience, aussi.'
Quelle œuvre d’art est ‘Celle qui vous a échappé’?
‘En décembre 2016, je suis passé à côté du chef-d’œuvre de James Ensor ‘Squelette arrêtant masques’. L’histoire de ce magnifique tableau dépasse l’imagination. Il était considéré comme perdu depuis des années, lorsqu’il a soudainement refait surface en novembre 2016, et dans ma ville d’Ostende, qui plus est!
L’heureux découvreur s’est d’abord tourné vers le Mu.Zee d’Ostende, qui a estimé qu’il s’agissait d’un faux. Convaincu du contraire, le propriétaire s’est alors adressé à la maison de vente aux enchères Sotheby’s.
Sotheby’s a rapidement confirmé l’authenticité de l’œuvre et l’a vendue aux enchères à Paris, fin 2016, pour le montant record de plus de 7,3 millions d’euros. Que ce chef-d’œuvre perdu ait été retrouvé dans ma propre ville et qu’il me soit passé sous le nez... j’en ai toujours un pincement au cœur aujourd’hui.'
Le Fort Sint-Pol est indissolublement lié à l’histoire de l’art belge et à la collection de Roger Nellens. Quels sont vos souvenirs les plus marquants de ce lieu et de la collection de Roger Nellens?
‘Outre les nombreuses célébrités et personnalités internationales qui ont visité le Fort Sint-Pol, j’apprécie tout particulièrement la série de chefs-d’œuvre exceptionnels qui ont pu y défiler pendant toutes ces années, grâce à la famille Nellens.
Je pense spontanément à la vaste collection Magritte, qui compte des chefs-d’œuvre exceptionnels dont ‘L’oiseau de ciel’, que certains connaissent peut-être mieux comme l’oiseau emblématique qui ornait les ailes des avions de la Sabena, notre ancienne compagnie aérienne nationale.
Le chef-d’œuvre de James Ensor ‘L’entrée du Christ à Bruxelles’ est également passé entre les mains de la famille Nellens. Il a d’ailleurs trôné sur les murs du casino de Knokke pendant plusieurs années. Aujourd’hui, le tableau se trouve à Los Angeles et fait partie des fleurons de la Fondation Getty.’
Quels sont vos projets pour ce lieu où l’art et l’immobilier se rejoignent?
‘Il y a quelques années, j’ai acheté le célèbre domaine Fort Sint-Pol à Knokke-Zoute. Je caresse toujours le rêve d’ouvrir un centre privé d’accueil des visiteurs sur une partie du domaine, où je pourrais exposer au public une partie de ma collection d’art.
Mais je ne veux pas me lancer à l’aveuglette et je place la barre très haut. Pour moi, ce centre d’accueil doit dégager une authenticité contemporaine. Je veux pouvoir offrir une expérience inoubliable, associée à un petit restaurant, par exemple.
Sur ce vaste domaine, j’aimerais également construire ma résidence privée où je pourrais vivre avec ma famille.'