L'impact des tendances sociodémographiques sur le marché belge du logement
Les tendances sociodémographiques modifient le fonctionnement du marché du logement. Dans la pratique, cela se manifeste principalement par l'impact du comportement de constitution des familles sur la demande de logements et donc aussi sur la formation des prix de l'immobilier résidentiel. Ce comportement détermine le nombre et la composition des ménages et, dans la foulée, la réserve et les types de logements nécessaires.
Inversement, la situation sur le marché du logement, en particulier la disponibilité de logements abordables de qualité, influe également sur la composition des ménages.
Dans ce rapport de recherche, nous examinons la relation réciproque entre les facteurs sociodémographiques et le marché du logement dans un contexte belge. Nous nous intéressons notamment au rétrécissement de la famille, au vieillissement et à la mobilité résidentielle de la population et, dans la mesure du possible, nous nous projetons dans l'avenir. L'une des conclusions est que du point de vue de la démographie, en raison du ralentissement de la croissance du nombre des ménages, la pression sur les prix des logements pourrait être un peu moins forte dans les décennies à venir que durant les décennies passées. Une autre conclusion est que les parcours de vie et les formes de cohabitation plus complexes des citoyens ainsi que la mobilité géographique requise de la main-d'œuvre nécessiteront une meilleure flexibilité et une plus grande diversité de l'offre de logements.
Des ménages plus nombreux et plus petits
La dynamique démographique a des implications évidentes sur les besoins en logement d'un pays. Pourtant, l'impact démographique est loin d'être univoque: une variation de la population globale ne se traduit pas nécessairement par une variation aussi importante de la demande de logements. Les naissances ont en effet lieu dans des familles qui disposent déjà d'un logement, même si celles-ci se mettent parfois en quête d'un logement plus spacieux. En cas de décès, un logement ne se libère pas lorsque le partenaire survivant continue à y habiter.
Même en cas d'immigration nette, la demande de logements n'augmente pas nécessairement de manière linéaire, bien que la corrélation soit ici plus forte. Certains immigrés, par exemple, peuvent vivre temporairement ou de manière permanente chez des parents, de sorte que la demande de nouveaux logements est inférieure à celle que le nombre d'immigrés suggère.
Plus que l’évolution démographique, c'est l'évolution du nombre de ménages qui détermine le besoin de logements. Au cours des dernières décennies, ce nombre a fortement augmenté en Belgique, notamment parce que les ménages sont en moyenne devenus systématiquement plus petits (figure 1). Cette fragmentation, également appelée 'rétrécissement de la famille', était liée à certains changements fondamentaux dans la composition des ménages. D'une part, la position de la famille traditionnelle (un couple marié avec enfants) parmi l’ensemble des ménages s'est affaiblie, en partie à cause d'une forte augmentation du nombre de divorces. Cela a donné lieu à une plus grande variété des formes de cohabitation, telles que la coparentalité, les relations LAT, etc. En outre, une forte augmentation des ménages unipersonnels (les célibataires) s'est manifestée parmi les personnes âgées en raison du vieillissement de la population, mais aussi de plus en plus parmi les jeunes générations (souvent en tant que statut temporaire).
Le rétrécissement de la famille a fait chuter le nombre moyen des membres d'un ménage de 2,8 au début des années 1980 à 2,3 aujourd'hui. Durant cette période, le nombre de ménages en Belgique a augmenté de 1,4 à plus de 5 millions aujourd'hui. C'est surtout au cours de la première décennie de ce siècle que l'augmentation a été assez forte, avec une moyenne de 0,9% par an. Elle s'est ensuite quelque peu essoufflée, le rétrécissement jouant également un rôle moins important, mais ces dernières années, la hausse s'est à nouveau intensifiée.
Ce n'est pas une coïncidence si cette dynamique s'est traduite par une dynamique correspondante de l'augmentation des prix des logements, avec des hausses de prix particulièrement fortes avant 2008 et ces dernières années (figure 2). Le modèle KBC, qui explique économétriquement les prix des logements belges à long terme par un ensemble de déterminants fondamentaux, indique également un impact positif significatif de l'évolution des ménages sur celle des prix des logements. Plus précisément, l'élasticité y est estimée à 2,16. Cela signifie qu'une augmentation de 1% du nombre de ménages entraîne une hausse de plus de 2% des prix des logements.
La pression sur les prix devrait s’alléger pour des raisons démographiques
Selon les dernières projections démographiques du Bureau fédéral du Plan (BFP, janvier 2023), le nombre de ménages en Belgique continuera d'augmenter de 0,64 million entre 2022 et 2050, passant de 5,06 à 5,70 millions. Avec une moyenne de 0,4% par an, leur croissance reste encore plus forte que celle de la population (0,3% par an) durant cette période. La taille moyenne des ménages diminue donc encore un peu plus. La croissance annuelle moyenne des ménages est toutefois largement inférieure à la moyenne des dernières décennies (figure 2). Ce ralentissement implique que la pression démographique sur les prix des logements sera probablement moins forte au cours des prochaines décennies que durant les décennies précédentes.
Le raisonnement ci-dessus suppose simplement qu'il existe une relation biunivoque entre le nombre de ménages et le parc immobilier, et qu'il faudrait donc ajouter 0,64 million de logements en Belgique d'ici 2050. Mais en réalité, il n'y a pas de relation parfaite entre le nombre de ménages et le nombre de logements, tout comme entre la population totale et le parc immobilier. Cela s’explique par le fait que les ménages sont de plus en plus multiformes et qu’il est difficile de les qualifier de 'résidentiels'. Parmi les exemples figurent la cohabitation de célibataires dans un même logement, l'augmentation du nombre de résidences secondaires et de chambres d'étudiants, ainsi que l'affectation de logements à des fins touristiques. Il est donc très difficile d'estimer la demande future de logements supplémentaires. En outre, les projections relatives aux ménages sont elles-mêmes entourées d'une grande incertitude, principalement liée à l'importance des flux migratoires futurs et à l'existence ou non d'une forte tendance au rétrécissement de la famille.
Si l'on examine la relation entre les ménages et les logements, on constate que ces dernières années, le nombre de logements disponibles a augmenté davantage que le nombre de ménages (figure 3). Le contraste est saisissant avec la situation qui prévalait au début de ce siècle. L'inverse s'était alors produit, ce qui contribue à expliquer la forte hausse des prix durant cette période. Le revirement qui s'est produit depuis 2014 indique que l'offre de logements en Belgique, du moins en termes de volume, s'est récemment bien adaptée à l’évolution démographique, et donc au besoin de logements supplémentaires. L'augmentation du ratio logements/ménages s'explique toutefois en partie par l'augmentation du nombre de résidences non-principales, parmi lesquelles les résidences secondaires et les chambres d'étudiants. Mais cela peut aussi indiquer que la pénurie de logements qui prévalait localement en Belgique a (en partie) été éliminée et pourrait çà et là se transformer en une offre excédentaire de logements. Cela aussi, indépendamment de la dynamique moins forte du nombre de ménages, pourrait freiner la poursuite de la hausse des prix des logements, du moins à court terme.
Bien entendu, à plus long terme, l'offre continue de nouveaux logements reste, à côté de la demande, un facteur clé de l'évolution des prix de l'immobilier. C'est là que les contraintes physiques liées à l'aménagement du territoire entrent en jeu en Belgique, en particulier dans une Flandre déjà densément peuplée et bâtie. L'intensité de la pression démographique pourrait diminuer au cours des prochaines décennies, mais le nombre de ménages continuera d'augmenter, ce qui nécessitera de consacrer plus d’espace au logement.
Le principe de ce que l'on appelle en Flandre le ‘stop au béton' (betonstop) ou le 'changement dans la construction' (bouwshift) prévoit que l’évolution des logements devra désormais passer au maximum par la transformation des espaces bâtis existants et au minimum par l'occupation d'espaces ouverts et non bâtis. À partir de 2040, il ne sera en principe plus possible de construire sur des espaces ouverts en Flandre.
La question reste de savoir dans quelle mesure les nouvelles constructions deviendront plus difficiles à réaliser. Dans l'affirmative, il pourrait y avoir un effet d’augmentation des prix. Mais dans la mesure où les logements fragmentés actuels largement sous-occupés, tels que les logements avec des chambres excédentaires, pourront être éliminés, cet effet ne se manifestera pas nécessairement.
Une plus grande flexibilité dans l'offre de logements
Le mode de constitution des familles, outre l’impact sur le parc immobilier nécessaire, affecte également la nature du logement, à savoir les types de logements requis. En particulier, les parcours de vie et les formes de cohabitation plus complexes des citoyens entraînent une variété grandissante des besoins en matière de logement.
Au cours des deux dernières décennies, la tendance au rétrécissement de la famille, en particulier la forte croissance du nombre de ménages unipersonnels (souvent des personnes âgées) a créé une demande relativement importante de logements plus petits, tels que des appartements, des studios ou des résidences-services. Cette 'appartementisation' du parc immobilier se reflète dans les chiffres de Statbel (figure 4). Entre 1995 et 2022, le nombre d'appartements a doublé en Belgique et leur part dans le parc immobilier total est passée de 19,3% à 29,5%.
Selon les projections démographiques du Bureau fédéral du Plan (BFP), le nombre de ménages unipersonnels continuera d'augmenter fortement au cours des prochaines décennies (figure 5). Au début des années 1990, leur part dans l'ensemble des ménages était inférieure à 30%. En 2022, elle était de 35,7% et elle devrait atteindre 39,8% d'ici 2050. Cette évolution ne fera que renforcer la tendance à réduire la taille des logements.
En outre, les perspectives indiquent que les relations traditionnelles moins solides (en particulier les couples mariés avec enfants) cèdent systématiquement la place à d'autres formes de cohabitation, souvent plus multiformes. Ces dernières s'accompagnent parfois d'une plus grande volatilité, ce qui nécessitera une plus grande flexibilité de l'offre de logements. Si l'offre de logements n'anticipe pas suffisamment l'évolution de la demande, une inadéquation qualitative croissante menace le marché résidentiel. Outre l'intérêt (justifié) pour la construction économe en énergie, en augmentation ces dernières années, la 'construction adaptative' devra également faire l'objet d'une plus grande attention. Cela implique la capacité d'apporter facilement des modifications aux logements pendant la période d'exploitation.
Il semble en outre que les tendances démographiques interagiront de plus en plus avec d'autres tendances socioculturelles et technologiques. Par exemple, le mode de vie des ménages dans les décennies à venir sera également influencé par l'émergence et l'intérêt pour de nouvelles formes de logement, telles que le co-housing, l’habitat kangourou ou la propriété partagée (logement coopératif, partage de jardin, etc.).
En outre, étant donné que les modes de vie dépendants de la voiture risquent de devenir chers et peu attrayants, de plus en plus de gens souhaiteront vivre dans un environnement urbain à forte densité de logements. Les logements seront plus petits, mais plus proches du travail, des écoles et des magasins.
Les nouvelles technologies telles que la robotique, les systèmes d'alarme ou le chat vidéo, ainsi que la construction compatible avec le cycle de vie devraient faciliter l'autonomie du groupe croissant de personnes âgées et permettre à celles-ci de rester plus longtemps dans leur logement.
L'immobilier de santé n'a pas encore atteint son pic
Cela nous amène à la question de savoir dans quelle mesure le vieillissement de la population aura un impact plus général sur le marché belge du logement. Le vieillissement de la population va s'accélérer dans les années à venir. Selon les projections démographiques du Bureau fédéral du Plan, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans augmentera de 0,9 million d'unités entre 2022 et 2050. En 2050, un Belge sur quatre aura plus de 65 ans. En principe, cela entraîne une forte augmentation potentielle de la demande de logements destinés aux personnes âgées.
Ces dernières années, celle-ci a déjà engendré une extension substantielle de la capacité des logements à assistance et des équipements dans les centres de soins résidentiels. L'intérêt généralisé des investisseurs et des promoteurs immobiliers pour ce type de logement a même créé une offre excédentaire dans le secteur au niveau local, plus particulièrement dans le segment des résidences services. L'une des raisons majeures est que les personnes âgées restent en bonne santé de plus en plus longtemps et qu'elles se tournent plus souvent vers les soins à domicile pour leurs premiers besoins. Par conséquent, le besoin effectif de logements adaptés axés sur les soins a été jusqu'à présent inférieur aux estimations initiales.
La demande en immobilier de santé n’atteindra peut-être son pic que plus tard. Le vieillissement de la population évolue en effet par vagues (figure 6). Durant la décennie en cours, le nombre de personnes âgées de 65 à 79 ans va continuer d'augmenter. Il s'agit d'un groupe de seniors actifs qui, pour la plupart, profitent encore de leurs belles années. Ce n'est qu'après 2030 que l'augmentation du nombre de personnes âgées de plus de 80 ans s'accélérera. D'ici 2050, environ 1,3 million de Belges (près de 10% de la population) auront plus de 80 ans. Ce groupe comprend un nombre relativement élevé de personnes âgées ayant besoin de soins, ce qui, à ce moment-là, augmentera considérablement la demande de logements spécifiques dotés de structures de soins. Il est possible que l'offre excédentaire actuelle de logements de santé disparaisse progressivement et que, d'ici là, une capacité supplémentaire de logements s’avère nécessaire.
Ces dernières années, la tendance des citoyens vieillissants à déménager semble s'accentuer. Un groupe de plus en plus important souhaite également passer d'un logement souvent trop grand à un logement plus petit durant leurs belles années. Ils doivent ainsi consacrer moins de temps au nettoyage ou au jardinage.
Ainsi, le vieillissement de la population amplifie la tendance à l’appartementisation évoquée plus haut. Les jeunes ménages peuvent occuper des logements vacants, le plus souvent sous-occupés, sur le marché immobilier. En revanche, les besoins en logements familiaux de ce groupe pourraient diminuer quelque peu au cours de la prochaine décennie. Ainsi, en Belgique, entre 2023 et 2030, le nombre de jeunes de 25 à 35 ans potentiellement à la recherche d'un premier logement diminuera de 53 500 unités. Après 2030, ce nombre augmentera à nouveau.
Une plus grande mobilité résidentielle
Il est impossible de prédire avec exactitude comment les changements sociodémographiques affecteront le marché du logement dans les années à venir. Outre l'incertitude entourant la démographie future, cela s'explique également par le fait qu'à l'inverse, l'évolution du marché du logement peut avoir un impact sur la formation des ménages.
Ainsi, en l'absence d'un logement approprié et abordable, les jeunes adultes pourraient retarder leur départ du domicile parental. Il n'est pas rare que ceux-ci retournent à la maison après avoir vécu de manière indépendante ou après avoir terminé leurs études ('les enfants boomerang').
Pour les jeunes partenaires qui envisagent d'agrandir leur famille ou disposent progressivement de revenus plus élevés, il est important qu'ils aient la possibilité d'accéder à un logement de meilleure qualité ('monter dans l'échelle du logement').
Même lorsque les partenaires se séparent, le rôle de la situation du logement est souvent crucial. Sur des marchés du logement flexibles, ils pourraient accéder plus rapidement à une nouvelle maison ou un nouvel appartement.
Mais dans la pratique, la causalité entre la dynamique du marché du logement et la formation des ménages est difficile à établir. Ainsi, à l'inverse, le départ précoce et délibéré des jeunes adultes de ‘l’Hôtel Maman’ pourrait également doper la demande et donc les prix des logements. La figure 7 montre qu'il n'y a pas de lien évident entre les deux.
Plus généralement, les conditions du marché du logement, telles que l'accessibilité financière du logement, la qualité et l'environnement du logement, le degré d'accession à la propriété, etc., déterminent la sédentarité des citoyens ou leur propension à déménager. Une mobilité résidentielle suffisante est généralement considérée comme essentielle. Lorsque le marché du logement est fluide, les ménages ont en effet plus de chances de trouver le logement de leur choix. En outre, un marché du logement qui fonctionne mal et qui offre peu de possibilités de déménagement est un obstacle au bon fonctionnement du marché du travail. Les ménages sont en effet moins susceptibles d'accepter un emploi au-delà d'une distance raisonnable de leur résidence actuelle si un déménagement s’avère difficile.
Dans une perspective européenne, la mobilité résidentielle en Belgique est plutôt moyenne (figure 8). En tout état de cause, la mobilité résidentielle est moins prononcée que la mobilité pendulaire, ce qui contribue à expliquer les différences régionales encore importantes dans les taux de chômage et les taux d'emploi en Belgique.
Le vieillissement de la population exercera également une pression baissière sur la population en âge de travailler (c'est-à-dire l'offre potentielle de main-d'œuvre) dans les années à venir. La mobilité professionnelle des citoyens devient donc de plus en plus importante. Ainsi, outre l'existence de formes de cohabitation de plus en plus complexes et multiformes, la mobilité requise de la main-d'œuvre nécessite une meilleure flexibilité et une plus grande diversité de l'offre de logements. Cela demande, entre autres, un marché locatif privé qui fonctionne bien, de faibles coûts de transaction et la disponibilité d'une capacité de logement suffisante avec une bonne accessibilité aux grands centres d’emploi.
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