La réincarnation de l'inflation des biens?
Revenons quelques années en arrière. Nous sommes en 2020. La pandémie bat son plein et contraint tout le monde à rester à la maison. Il fait beau dehors, mais les restaurants sont fermés et les terrasses sont désertes. L'ennui s'installe. Les haltères et tapis de yoga récemment achetés sont déjà recouverts d'une fine couche de poussière. L'ordinateur séduit de plus en plus. Nous l'ouvrons quand même encore une fois. Le site Bol (.com) s’ouvre automatiquement. Car nous ne l’avions pas fermé la dernière fois pour plus de facilité. On fait défiler l’écran, puis on clique!
Ce net glissement de la consommation des services vers les biens, soutenu par une injection fiscale sans précédent, a alors mis les chaînes d'approvisionnement mondiales sous pression. Le transport maritime, qui tient lieu de maillon clé, est rapidement arrivé à saturation. Les porte-conteneurs étaient ancrés dans les ports et ne revenaient pas à temps pour le nouveau chargement de commandes Bol et AliExpress. Les coûts de transport (maritime) se sont envolés en un rien de temps.
Nous avons assisté à une forte inflation rapide des biens en 2021. Les banques centrales n'étaient alors pas conscientes du problème, qui était selon elles temporaire et lié à l'offre. Nous savons entre-temps que l'étincelle s'est immédiatement propagée au secteur des services après la levée des mesures de confinement. La Fed et ses consoeurs n'avaient pourtant pas tout à fait tort. Aux États-Unis, la part de l'inflation des biens dans le total s'effrite systématiquement depuis la mi-2022. Depuis 2024, on parle même de 'déflation des biens'. L’Europe suit une tendance similaire et est le principal acteur du processus de désinflation.
Vous voyez sans doute où nous voulons en venir: nous nous heurtons peu à peu à la limite. Les armateurs ont fortement augmenté leurs capacités et la demande exceptionnellement forte s'est normalisée. Mais les effets bénéfiques sont limités. En outre, de nouveaux éléments perturbateurs ont fait leur apparition depuis plusieurs mois.
Les rebelles houthis du Yémen paralysent le trafic dans le canal de Suez en attaquant des navires commerciaux en mer Rouge. Le transport maritime entre l'Europe et l'Asie (orientale, soit la Chine) suit dès lors un trajet beaucoup plus long mais (plus) sûr en passant par l'Afrique du Sud. Les arrêts nécessaires dans le détroit de Gibraltar (pour un service Méditerranée) allongent les délais d'attente. Le commerce maritime avec les États-Unis est également confronté à de sérieux revers. Une sécheresse extrême entrave le fonctionnement du canal de Panama, qui relie l'Europe à la côte ouest et l'Asie à la côte est.
La conclusion la plus prudente est que cela met fin à la partie facile de la modération de l'inflation. La situation actuelle, sans solution à court terme, attise à nouveau l'inflation des biens. Il s'agit d'une mauvaise nouvelle pour les banques centrales. Cela signifie que le secteur des services doit désormais prendre le relais pour renouer avec l'objectif d'inflation général de 2%. Il s'agit d'un segment à forte intensité de main-d'œuvre où les salaires représentent une partie disproportionnée des coûts. Les salaires ont augmenté au dernier trimestre aussi vite que le record de 2023 à l'issue des négociations européennes et ils dépassent toujours la moyenne d'avant la pandémie aux Etats-Unis.
Cette nouvelle ne constitue ni une recommandation d’investissement ni un conseil.